Certains jeux se découvrent sans trop savoir à quoi s’attendre, et Keeper en fait clairement partie. Avant de m’y lancer, je n’étais pas vraiment sûr du style de jeu que j’allais découvrir… Enfin, si, j’en avais une vague idée, mais sans réelle conviction ni certitude sur la profondeur de l’offre que j’allais appréhender. Dès les premières minutes, on comprend qu’il ne s’agira pas d’une aventure classique : pas de texte, pas de dialogue, pas de narration explicite. Tout repose sur l’observation, l’interprétation et la sensibilité du joueur pour assembler les pièces du puzzle. C’est un pari audacieux que Double Fine tente ici, avec l’ambition de livrer un récit purement visuel, presque poétique, quitte à laisser le gameplay au second plan.
L’histoire commence lorsque l’on découvre un oiseau solitaire qui trouve refuge sur le toit d’un vieux phare abandonné. En allumant sa lumière, il chasse des créatures menaçantes et ce simple geste semble réveiller quelque chose : le phare se tord, se redresse, se libère de sa base et se met à marcher maladroitement. Manette en main, c’est assez déroutant. Le joueur incarne donc ce duo improbable lancé dans un voyage dont il doit en comprendre le sens. Ce qui frappe immédiatement, c’est la beauté du jeu. Sous la direction artistique de Lee Petty, Keeper est un véritable tableau vivant. Chaque décor semble peint à la main et animé par une lumière mouvante ainsi qu’une atmosphère qui évolue en même temps que nous . L’univers a quelque chose d’étrangement familier, entre rêve surréaliste et fable mélancolique. Le monde semble brisé, vidé de toute présence humaine, et l’on y devine les traces d’une ancienne civilisation. À chaque pas, on découvre des créatures curieuses, des ruines suspendues dans le vide et des paysages déformés. Si je devais retenir un point fort de mon expérience Keeper, ce serait bien entendu sa direction artistique intrigante. C’est vraiment ce qui ressort de mon voyage.







Manette en main, Keeper est avant tout une expérience contemplative. On avance lentement, on observe, on expérimente. Le phare éclaire les zones d’ombre, repousse certaines menaces et active des mécanismes en usant un éclairage plus fin mais fort, tandis que l’oiseau, plus agile, récupère des objets ou actionne des leviers. Le principe fonctionne, mais reste assez limité : les puzzles sont simples et servent davantage à rythmer la progression qu’à réellement stimuler le joueur. Ce n’est pas foncièrement un défaut, mais on ressent tout de même un certain manque de profondeur dans les mécaniques et, surtout, on répète la même boucle de gameplay pendant quelques heures. Keeper réussit toutefois à créer de l’émotion sans un mot. Le lien entre l’oiseau et le phare se tisse progressivement à travers leurs gestes, leurs réactions et leurs hésitations. On finit par s’attacher à ce duo improbable, sans vraiment savoir pourquoi. Tout passe par l’aspect visuel et la musique qui accompagnent les paysages… encore faut-il être sensible à ce genre de jeux (on l’a tout deux testé ici, et Ghost et moi, on n’en ressort pas touché pareil).
Malgré cela, Keeper peine parfois à maintenir son souffle. Son rythme lent et son gameplay minimaliste risquent de laisser certains joueurs sur le bord du chemin. On aimerait que le jeu ose davantage et qu’il enrichisse son univers par quelques mécaniques nouvelles. On reste souvent spectateur, fasciné par ce qu’on voit, mais rarement pleinement impliqué dans l’action. Il faut aussi reconnaître que la direction artistique, aussi splendide soit-elle, finit parfois par étouffer l’ensemble, à en devenir l’élément central. Certains y verront une œuvre d’art, d’autres une promenade pas des plus passionnantes. Keeper se situe quelque part entre les deux, incapable de choisir entre l’émotion qu’elle transmet et l’expérience ludique à proprement parler.
Au final, Keeper est un jeu étrange, beau et sincère, mais qui peine à maintenir l’attention sur la durée. C’est une fable muette sur la découverte, la liberté et la rencontre (et le lien qui évolue au fil du temps) mais elle ne parvient pas toujours à transformer sa poésie en véritable voyage. On en ressort intrigué, charmé par moments, mais aussi un peu frustré. Double Fine signe ici une œuvre originale, mais trop contemplative à notre gout. Keeper trouvera assurément sa clientèle, il touchera énormément de joueurs, aucun doute là dessus, mais chez nous, il manque un petit truc.

















