10 novembre 2025

Avis Farthest Frontier : une simulation de survie ambitieuse mais encore confuse

Sous ses allures de city-builder exigeant, Farthest Frontier séduit par sa profondeur mais trébuche sur la lisibilité de ses mécaniques et l’ergonomie de son interface. Farthest Frontier s’inscrit dans cette catégorie de jeux de gestion qui misent sur le réalisme plutôt que sur la fluidité. Développé par Crate Entertainment, à qui l’on doit Grim Dawn, il nous place à la tête d’un petit groupe de colons venus bâtir une nouvelle vie dans un monde sauvage. On récolte, on bâtit, on défend, et surtout, on apprend à survivre. L’idée est séduisante : un city-builder “vivant”, où chaque ressource compte et où le moindre hiver peut réduire vos efforts à néant. Sur le papier, la promesse est solide. En jeu, le résultat est plus nuancé.

Le premier contact est engageant. L’environnement naturel est superbe, la direction artistique sobre mais efficace. On s’installe dans un décor vivant, traversé de forêts denses et de rivières paisibles, où chaque saison change radicalement la physionomie du terrain. Le rendu des lumières, la gestion des cycles et les sons ambiants confèrent une vraie atmosphère. On se sent plongé dans une simulation crédible, loin des jeux de gestion aseptisés. Pourtant, dès les premières minutes, un constat s’impose : Farthest Frontier est moins accueillant qu’il en a l’air. Le système de récolte donne le ton. On comprend vite que rien ne se fait de manière intuitive. Les villageois ne récoltent ni bois ni pierre sans ordre explicite, et l’on se retrouve à désigner manuellement chaque arbre, chaque zone à exploiter, sous peine de voir tout le village à l’arrêt. Ce qui pourrait passer pour un choix de gameplay réaliste finit par ressembler à une microgestion fastidieuse (à moins que j’ai loupé un épisode). Même après plusieurs heures, la logique de priorités reste floue : certains colons ignorent les tâches, d’autres se regroupent sans raison apparente. On sent que le système fonctionne, mais sans jamais bien comprendre comment.

Les tutoriels n’aident pas vraiment. Trop succincts, ils laissent de larges zones d’ombre sur des mécaniques essentielles. Le jeu introduit bien ses bases (construire, récolter, nourrir) mais il omet souvent d’expliquer les interactions fines entre production, stockage et transport. On découvre par l’erreur, souvent au prix d’une famine passagère. Cette approche volontairement opaque conviendra sans doute aux joueurs les plus méticuleux, mais elle peut décourager ceux qui espéraient une progression plus claire. Et pourtant, difficile de ne pas être séduit par la profondeur du système économique. Les chaînes de production sont interconnectées de manière crédible : pour obtenir du pain, il faut du blé, un moulin, un four, du bois de chauffe et un boulanger. Cette logique de dépendance rend chaque décision importante. Le jeu récompense la planification et punit la négligence. Mais il échoue parfois à rendre ses règles transparentes, ce qui brouille la frontière entre défi stratégique et frustration pure. On ne sait plus toujours si une difficulté vient d’une erreur du joueur ou d’un manque d’information du jeu.

Techniquement, Farthest Frontier s’en sort plutôt bien. Le moteur tient la route, même si les performances chutent parfois quand la colonie s’agrandit. L’interface, elle, gagnerait à être repensée : certaines données essentielles (ressources, santé, état des bâtiments) sont enfouies dans des sous-menus peu lisibles, et surtout ces menus sont nombreux et les icônes envahissent l’écran. On s’y perd vite, surtout au début. Ce n’est pas rédhibitoire, mais cela donne l’impression d’un jeu pensé pour des initiés, pas pour un public curieux. Sur le plan sonore, Crate a fait le choix de la sobriété. Les musiques se font rares et/ou discrètes, remplacées par des sons naturels : le vent, la pluie, les pas dans la boue. Cette approche minimaliste fonctionne bien et soutient l’immersion. Le jeu devient presque méditatif lorsqu’on observe son village s’animer au rythme des saisons. Dommage que cette sérénité soit régulièrement interrompue par des phases de confusion où rien ne semble se dérouler comme prévu.

La gestion du rythme est d’ailleurs un point clé. Farthest Frontier ne cherche jamais à aller vite. Les progrès se mesurent en heures, et chaque avancée repose sur une préparation minutieuse. Certains apprécieront cette lenteur volontaire, qui donne du poids à chaque réussite. D’autres la trouveront laborieuse, surtout lorsque l’interface et les comportements des villageois viennent ajouter de la friction. Il y a un équilibre fragile entre rigueur et accessibilité, que le jeu n’atteint pas encore totalement. Les raids ennemis, eux, apportent une dose de tension bienvenue, sans être essentiels. Le mode pacifiste permet de les désactiver pour se concentrer sur la gestion pure, et c’est sans doute là que le jeu donne le meilleur de lui-même. La défense reste basique, les combats peu lisibles, et la gestion des murs ou tours de guet ajoute surtout des contraintes logistiques supplémentaires. Rien de catastrophique, mais ce pan du gameplay semble moins travaillé que le reste.

Avec le temps, on finit par apprivoiser ses mécaniques. On apprend à organiser ses priorités, à anticiper les saisons, à répartir efficacement la main-d’œuvre. Et c’est là que Farthest Frontier révèle son vrai visage : celui d’un jeu de patience, de méthode, où l’observation prime sur la réaction. Il n’offre pas la gratification immédiate d’un city-builder classique ; il impose un apprentissage exigeant, parfois ingrat, mais cohérent avec son ambition. On sent que Crate Entertainment a cherché à faire un jeu sincère, à l’ancienne, sans compromis. Un titre où la réussite se mérite, où chaque ressource compte, et où l’échec a un sens. Ce choix mérite le respect. Mais l’absence d’accompagnement, l’ergonomie pas toujours au poil et la microgestion permanente risquent de freiner beaucoup de joueurs avant qu’ils ne puissent en profiter pleinement.

En l’état, Farthest Frontier reste un jeu fascinant mais inégal. Sa profondeur, son ambiance et sa cohérence en font une expérience singulière, presque hypnotique par moments. Mais son manque de clarté et de pédagogie l’empêche d’atteindre le niveau des grands du genre. Crate Entertainment signe un city-builder ambitieux, qui gagnerait à mieux expliquer ses systèmes et à déléguer davantage au joueur. Ceux qui auront la patience d’en maîtriser les codes y trouveront une simulation authentique, mais exigeante au point de parfois s’auto-saboter. Farthest Frontier, en somme, est un jeu à respecter plus qu’à aimer d’emblée : une expérience brute, passionnée, mais qui oublie encore trop souvent que la complexité n’est pas toujours synonyme de profondeur.

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