Né dans les années 80, j’ai grandi avec les beat’em up aussi bien sur console que dans les salles d’arcade et les fêtes foraines où les bornes clignotaient de tous côtés. Après le retour réussi de Streets of Rage 4, revoir Double Dragon aujourd’hui ne peut qu’éveiller la nostalgie. Ces jeux étaient des rituels : deux boutons, un ami à côté, et le bruit sec des coups qui claquent. Revoir aujourd’hui Double Dragon Revive, c’est forcément réveiller tout ça. C’est accepter que le temps ait passé, mais espérer que le plaisir brut de la baston, lui, n’a pas bougé.
Dès les premières secondes, la nostalgie fait mouche. On retrouve Billy et Jimmy, leur gestuelle raide, leurs t-shirts trop propres, et ces environnements de ruelles et de hangars familiers. Le studio Yuke’s a choisi un moteur 3D, mais le cœur du jeu reste fidèle à l’original : progression horizontale, vagues d’ennemis, armes à ramasser, boss en fin de niveau. Rien de plus, rien de moins. L’objectif est clair : ramener le mythe sans le trahir. Et dans un premier temps, ça fonctionne. Le contact des coups, le rythme des enchaînements, la tension de chaque affrontement rappellent pourquoi Double Dragon a marqué son époque. Mais rapidement, on réalise que si la nostalgie marche à court terme, elle ne suffit pas à masquer les limites du jeu.
Le système de combat a été modernisé, sans être révolutionnaire. On peut esquiver, contrer, projeter, rebondir sur les murs… des ajouts bienvenus qui dynamisent l’action. Lorsqu’on enchaîne proprement, le plaisir revient immédiatement : cette sensation d’efficacité, de rythme et de maîtrise qu’on n’a que dans un bon beat’em up. Sauf que tout n’est pas aussi fluide qu’espéré. Les collisions sont parfois approximatives, la profondeur du plan 2,5D est mal gérée, et certains coups semblent flotter dans le vide. Dans un genre aussi tactile, où la sensation de contact est primordiale, cette imprécision casse souvent le rythme. On passe du plaisir immédiat à une petite frustration technique. Ce n’est pas rédhibitoire, mais ça empêche le jeu d’atteindre cette « perfection mécanique » que d’autres, comme Streets of Rage 4, avaient su retrouver.
Visuellement, Double Dragon Revive reste en retrait. Le choix du tout 3D permet de moderniser un peu l’ensemble, mais le résultat manque d’identité. Les décors sont propres mais sans âme, les personnages bien modélisés mais parfois rigides, et l’ambiance générale n’atteint jamais cette patte visuelle marquante qu’on aurait aimé. On sent la prudence, la volonté de ne pas froisser les puristes, quitte à ne rien oser. La bande-son, en revanche, fait le travail avec brio. Les thèmes remixés frappent juste, entre hommage et fraîcheur. Les bruitages, eux, procurent ce petit plaisir primaire qu’on recherche dans un beat’em up. Chaque coup porte, chaque cri résonne. Ce n’est pas une révolution sonore, mais c’est sincère et bien calibré.
La campagne se boucle rapidement (comptez quatre à cinq heures selon votre rythme) et suit un schéma classique : une dizaine de stages, des vagues d’ennemis, des boss, quelques cut-scenes minimalistes. Rien d’étonnant, mais rien d’indigne non plus. Le jeu prend toute sa dimension en coopération. À deux, on retrouve le cœur du genre : les réflexes, les échanges, les rires. On se coordonne, on se relève, on se chambre, et on finit par battre ce boss qu’on pensait intouchable. Ces moments-là font tout le charme du jeu. Ils rappellent pourquoi on aimait tant ces expériences simples, directes, sans fioritures. Double Dragon Revive réussit à recréer cette camaraderie, et c’est peut-être là sa plus belle réussite. On veut plus de couch gaming bordel !
Mais quand on regarde plus loin, on sent le manque d’ambition. Le jeu se contente d’être un hommage propre, sans chercher à réinventer sa formule. Pas de système de progression, pas de montée en puissance, pas de variété outre mesure dans les ennemis ou les situations. On tape, on avance, on recommence. C’est efficace sur le moment, mais la répétitivité s’installe vite. Streets of Rage 4 avait su briser ce piège en ajoutant du rythme, des transitions, des variations dans le gameplay. Revive, lui, reste dans sa bulle nostalgique, comme s’il craignait de trop s’éloigner de son modèle. Le résultat, c’est un jeu attachant mais trop sage, qui aurait gagné à prendre quelques risques.







Techniquement, c’est globalement stable. Pas de gros bugs, mais des petits accrocs : collisions parfois capricieuses, ralentissements légers, problèmes de lisibilité en pleine action. Des détails qui, mis bout à bout, rappellent que le projet n’a pas eu les moyens d’un grand. Ce n’est pas catastrophique, mais ça contribue à cette impression de produit inégal, sincère mais inachevé. On sent que les intentions sont bonnes, mais que la finition n’a pas suivi jusqu’au bout. Côté scénario : Marian est encore kidnappée, les frères Lee partent remettre de l’ordre à coups de poing, et le tour est joué. C’est une trame qui tient en deux lignes, mais qui colle parfaitement à l’esprit du jeu. L’histoire n’est qu’un prétexte, et ce n’est pas un reproche. Le beat’em up reste un genre où le gameplay est le vrai moteur. Et là-dessus, Double Dragon Revive fait le minimum attendu, ni plus ni moins.
Malgré tout, impossible de lui en vouloir. Il y a quelque chose d’honnête dans cette production. On sent le respect pour le matériau d’origine, la volonté de bien faire, même sans les moyens d’un triple A. C’est un jeu fait par des gens qui ont aimé Double Dragon, et qui veulent le partager à une nouvelle génération. Quand on joue, on retrouve des sensations enfouies, des réflexes oubliés, des musiques familières. Ces moments d’émotion suffisent parfois à compenser les défauts. Oui, Revive aurait pu être plus beau, plus précis, plus ambitieux. Mais il reste un petit voyage dans le temps, un rappel de ces soirées passées à marteler le bouton de coup de pied avant de filer dépenser ses dernières pièces pour une dernière partie.
En refermant Double Dragon Revive, on garde un goût doux-amer. Celui d’un retour qu’on attendait depuis longtemps, mais qui n’a pas totalement livré ce qu’il promettait. On y retrouve des sensations oubliées, mais pas la claque espérée. Ce n’est pas un mauvais jeu, loin de là. C’est un titre honnête, plaisant par moments, frustrant à d’autres, qui laisse transparaître une vraie tendresse pour son passé. Et peut-être que c’est ça, finalement, sa vraie force : il parle à ceux qui étaient là, à ceux qui savent d’où vient le beat’em up, à ceux qui ont grandi dans le bruit des pièces qui tombent. On aurait aimé que le dragon rugisse à nouveau. Pour l’instant, il souffle tout juste, mais il vit encore. Et pour les joueurs de notre génération, c’est déjà un petit miracle.